Transferts d’entreprises : de plus en plus d’intentions, mais pas autant de transactions

Articles - Image d'intro

Les propriétaires d’entreprises qui souhaitent passer le flambeau au Québec sont sans conteste de plus en plus nombreux depuis une dizaine d’années. Le vieillissement de la population n’est pas étranger à ce phénomène qui s’accélère et qui, depuis la pandémie, a atteint une vitesse encore plus grande. Pendant que les planètes ne sont pas toujours alignées pour les cédants et les repreneurs, le risque économique grandit.  

Invité par les Manufacturiers Mauricie Centre-du-Québec (MMCQ) à dresser le portrait du repreneuriat au Québec devant les participants de la Matinée Repreneuriat présentée par BCF et le CTEQ, le professeur, chercheur à l’Institut de recherche sur les PME et directeur scientifique de l'Observatoire du repreneuriat et de transfert d'entreprise du Québec (ORTEQ), Marc Duhamel, fait état des enjeux que la situation engendre et des défis auxquels font face les cédants et repreneurs. 

Depuis la pandémie, le taux des intentions de transfert a explosé chez les propriétaires d’entreprises. Toutefois, le taux de transferts qui ont réellement lieu ne suit pas une courbe aussi prononcée. Cela notamment en raison d’un problème d’opacité du marché, explique le chercheur universitaire. Alors que les repreneurs lèvent la main pour faire des acquisitions, les cédants, eux, n’ont pas intérêt à s’afficher et sont plutôt discrets, par crainte de susciter de l’inquiétude chez leurs clients et employés. 

 

Risque pour l’économie 

Chaque transfert qui ne se concrétise pas a un impact sur l’économie. Certaines entreprises cessent d’investir et garde la performance «au niveau cosmétique », sans mettre d’efforts dans le développement des affaires. Après un certain temps à demeurer dans le statu quo, sans céder l’entreprise, les propriétaires sont parfois tentés de liquider les actifs ou de déclarer faillite. Cela ne résulte pas seulement à des pertes d’emplois, mais aussi une perte de valeur du capital intangible et de perte de richesse pour la région, la province et le pays. 

Les fusions, quant à elles, réduisent l’intensité de la concurrence locale, puisque vient un temps où tout le monde se tourne vers les mêmes fournisseurs. « C’est parfois avantageux, mais parfois moins, lorsque cela engendre un coût plus élevé. De plus, le contrôle de ces entreprises est souvent déplacé dans les grands centres, mais aussi à l’extérieur de la province et du pays. Cela a un impact sur la vitalité de la chaine d’approvisionnement », explique M. Duhamel. 

L’une des craintes du milieu économique est que le scénario japonais se concrétise au Québec. Le pays du Soleil levant, qui vit déjà les impacts du vieillissement de la population, a perdu plus de 20 % de ses PME entre 1999 et 2014. «Non seulement ils ont perdu des entreprises, ils les ont perdues principalement en région. Les régions se vident. Tellement que ça mène à une augmentation du nombre d’habitations et de logements vacants ou totalement à l’abandon. Ce scénario représenterait, pour l’économie du Québec, la perte de 55 000 PME et 490 000 logements à travers le Québec », explique le directeur scientifique. 

 

L’importance du repreneuriat

En 2021, on notait que les entreprises québécoises qui procèdent à un transfert affichaient un revenu de 305 000 $ par employé en moyenne, alors que le revenu par employé moyen des entreprises qui ne changeaient pas de propriétaire était de 282 000 $.  « Ça dit que les entreprises qui ont procédé à un transfert ont une productivité beaucoup plus élevée que les nouvelles ou celles qui ne changent pas de mains. Ce sont des entreprises qui ont un potentiel de croissance plus élevé. » Du côté du manufacturier, la différence est davantage prononcée. On peut parler d’un second souffle qui est donné aux entreprises qui changent de mains, ou encore de regénération stratégique dans le jargon. 

La croissance des entreprises établies est reconnue comme étant le principal facteur de croissance de la productivité et de la richesse au Canada depuis quatre décennies. Selon M. Duhamel, environ 80 % des gains de productivité des entreprises canadiennes proviennent de la continuité des activités des entreprises existantes. Les pousses vertes, elles, représentent moins de 10 % de la contribution à la croissance de la productivité. Il s’agit donc d’un enjeu de richesse important. D’où l’importance de s’assurer que ces entreprises demeurent dans le giron du pays, de la province et de la région. 

 

Manque de données

Ce n’est pas une mince tâche d’avoir le portrait réel à jour. Les organismes disposent de données sur les intentions de transfert, mais jusqu’à tout récemment, pas de données sur les transactions effectuées. 

Or, une plus grande transparence et un accès aux données pourraient amener une plus grande prise de conscience de la part des acteurs de l’écosystème et permettre des prises de décisions plus éclairées, d’après M. Duhamel. Il note que les organismes de développement économique ont besoin de prévisions pour déterminer les besoins d’accompagnement pour chaque région et pour le secteur manufacturier, et ce, afin de s’assurer d’avoir un marché efficace de transfert d’entreprises. Il ne faut surtout pas négliger les entreprises de 20 à 99 employés ni de 10 à 19. « Ces entreprises-là ont un potentiel de croissance et de développement économique local inestimable pour le Québec.»

Les politiques entrepreneuriales ont contribué à l’augmentation des personnes à la recherche d’opportunités entrepreneuriales et intéressées à démarrer une entreprise, mais est-ce que cela a véritablement fait en sorte que le nombre d’entrepreneurs établis a augmenté ? Non, répond M. Duhamel. De plus, sur le nombre d’entrepreneurs qui se lancent, peu demeurent. 

 

Parlons statistiques

Au quatrième trimestre de 2021, 1,5 % des entreprises du secteur de la fabrication au Québec avaient l’intention de procéder au transfert de leur entreprise dans les 12 prochains mois. Trois ans plus tard, ils étaient 11,8 % des entreprises du secteur manufacturier à vouloir céder leur entreprise.  «La valeur économique de ces entreprises manufacturières, c’est énorme pour le Québec. » 

Dans la 2e édition de l’Étude nationale du repreneuriat et des transferts d’entreprises au Québec de l’ORTEQ, qui sera rendu public lors du Sommet du repreneuriat du CTEQ en avril, les taux de survie des entreprises seront présentés sur différentes périodes, et ce, pour celles qui conservent les mêmes propriétaires et celles qui changent de mains. Cela permettra aux acteurs économiques de voir « s’ils font un bon travail» et s’ajuster, mentionne M. Duhamel. Les instruments de financement sont-ils adaptés ? Oui, pour les très grandes entreprises, répond l’expert, qui se demande toutefois s’ils le sont aussi pour les entreprises de 10 à 99 employés, alors que ces dernières ont souvent un très grand potentiel de croissance. 
 

Retour à la liste des nouvelles